Le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement en France (2014) : quels enseignements économiques ?

Le rapport de la fondation Abbé Pierre attire notre attention sur la situation de logement insatisfaisante que connaît une partie de la population en France. Au-delà de l’émotion que suscite cette évocation, quels enseignements économiques peut-on en tirer ?
Il existe tout un ensemble d’interventions publiques, notamment sous la forme d’aides, destinées à assurer à l’ensemble de la population des conditions de logement décentes à un coût supportable. L’économiste se préoccupe d’atteindre cet objectif au moindre coût.
Les aides représentent un flux de 45mds € par an, sans compter les aides antérieures dont certaines continuent à bénéficier aux ménages. On peut estimer que quasiment un ménage sur deux bénéficie d’une aide au titre du logement (cf. le décompte dans « Économie immobilière et des politiques du logement »). Comment se fait-il qu’une partie de la population, de l’ordre de 5%, ait encore des conditions de logement insatisfaisantes ? La question est donc celle de l’efficacité des aides publiques.

1 L’insuffisance de logements sociaux
Pour expliquer le mal-logement, on évoque souvent l’insuffisance de logements HLM. Cette appréciation soulève plusieurs questions :
• S’il manque des logements HLM, pourquoi en détruit-on une dizaine de milliers chaque année dans les opérations de l’ANRU pour en reconstruire ultérieurement ? Pourquoi ne se contente-t-on pas de construire de nouveaux logements HLM ? La finalité évoquée est celle de la « mixité sociale des quartiers », la volonté de « casser les ghettos ». L’effet le plus clair est d’évincer les ménages les plus modestes pour y attirer des ménages plus aisés.
• S’il manque des logements HLM pour les ménages les plus modestes, pourquoi 20% des ménages y résidant sont parmi les 50% des plus aisés de l’ensemble de la population ? L’argument de la mixité sociale invoqué ici aussi est largement infondé quand on voit que les plus aisés des locataires HLM n’habitent pas dans les mêmes quartiers que les plus modestes.
• Pourquoi une part de l’aide publique est-elle absorbée en coûts de gestion des organismes HLM, dont la part dans le service est supérieure de 10 points à celle des bailleurs personnes physiques ? (Cf. Compte des producteurs de service logement).
• Pourquoi le bénéfice d’un logement HLM est-il à vie, sous la forme d’un bail à durée illimitée, alors que les locataires du secteur privé, qui ne sont pas aidés à ce titre, ne bénéficient que de baux de 3 ou 6 ans ?
• Pourquoi le secteur HLM «refuse l’idée de spécialiser le parc social dans l’accueil exclusif des plus pauvres et des plus démunis » (site internet USH), alors qu’il bénéficie d’aides publiques à cette fin, dont ne bénéficient pas les autres secteurs de logement ?
Toutes ces interrogations font l’objet de développements dans l’ouvrage « Économie immobilière et des politiques du logement ».

2 L’accès à un logement
Le rapport attire l’attention sur le lien entre le mal-logement et l’emploi. Si l’accès à un emploi est quelque fois handicapé par le logement, par exemple par une « mauvaise » adresse, l’accès ou non à un logement est plutôt la conséquence de la situation à l’égard de l’emploi. Il s’agit par exemple des personnes en situation d’emploi précaire qui peinent à accéder à un logement indépendant. Plus généralement, le mal-logement est souvent une des manifestations d’un problème d’insertion sociale et non pas l’expression d’une insuffisance quantitative de logements.
C’est le cas par exemple des Roms. La difficulté à leur trouver un logement permanent est vraisemblablement l’expression de l’attitude ambigüe de la collectivité quant à sa volonté d’insertion sociale de ces populations.
C’est le cas aussi les jeunes. La fourniture d’un logement fait partie de l’obligation des parents à pourvoir aux besoins de leur(s) enfant(s) à la mesure de leur revenu. La forme la moins onéreuse pour fournir une prestation logement est l’hébergement au domicile parental, quand c’est possible. La mobilisation des aides publiques ne devrait être que subsidiaire, quand les autres moyens ont été épuisés.

3 Les logements indignes
La très grande majorité des logements présentent des conditions objectivement satisfaisantes. Mais la perception d’un bon logement est davantage subjective. Un très petit nombre de logements sont indignes, qu’on peut définir comme ceux ne satisfaisant pas aux normes minimales d’habitabilité. Les logements dans cette situation devraient faire l’objet de davantage d’attention des pouvoirs publics. Actuellement, seul l’occupant peut agir pour faire respecter ces normes minimales. L’intervention directe des pouvoirs publics ne peut s’exercer que pour des logements en situation d’insalubrité qui par ailleurs correspond à plusieurs définitions légales.
Une suggestion est que les logements soient soumis à un contrôle technique, comme le sont les voitures. Ce contrôle pourrait être réalisé par des agents municipaux ou de l’intercommunalité qui sont les plus au fait de l’état possible des logements sur leur territoire. Ces contrôles pourraient ne pas concerner tous les logements. Ils seraient réalisés à l’initiative de la collectivité publique concernée ou sur demande, de l’occupant ou du futur occupant ou d’une institution compétente.

4 Le coût du logement
Que les ménages occupent un logement convenable ou non, certains ont à supporter une dépense de logement excessive. La statistique publique, sous l’égide d’Eurostat, définit le taux de surcharge de coûts du logement comme celui où la dépense de logement, loyers plus charges, dépasse 40% du revenu.
En France, le taux de ménages dans cette situation, tous statuts confondus, est de 5,3%. C’est un des plus faibles d’Europe (Eurostat 2011). Par comparaison, ce taux est de 16,1% en Allemagne, de 16,4% au Royaume-Uni de 19,9% au Danemark. En France, chez les locataires du secteur privé, le taux de ménages en surcharge est de 16,0%, de 9,4% chez les locataires HLM. Ces taux sont respectivement de 21,4% et 16,5% en Allemagne. Ces taux sont assez stables dans le temps. Rappelons par ailleurs qu’en France 50% des ménages consacrent moins de 12% de leur revenu pour se loger (charges incluses).
Le problème de surcharge ne concerne donc qu’une fraction réduite des ménages. Pour ceux qui sont dans cette situation, il faudrait d’abord en examiner les raisons. Les aides publiques sont-elles insuffisantes pour couvrir ces dépenses, en particulier les allocations de logement. Les barèmes permettent-ils effectivement des taux d’effort dépassant les 40%. Les droits aux aides sont-ils réellement exercés (Droit au logement opposable, aides personnelles etc.) ?
Plus généralement, économiquement, le coût du loyer est le résultat du produit d’un prix unitaire par une quantité consommée. Le prix est une donnée, souvent fixée par le marché, alors que la quantité constitue un choix, au moins à partir d’un minimum vital. Le taux d’effort dépend aussi du montant du revenu.
Le rapport indique que les loyers moyens ont connu une hausse de 55% sur 13 ans (dans les grandes agglomérations de province, source OLAP cité chapitre 3, le tableau de bord du mal logement). Cette hausse résulte pour partie de la hausse du prix nominal des loyers qui est de 33% (composante loyer de l’IPC), qui est elle-même l’expression de la hausse générale des prix. La hausse du prix réel des loyers, c’est-à-dire par rapport à l’inflation, est de de 7% sur l’ensemble de la période concernée. Cette hausse relativement faible révèle une tension modérée sur le marché locatif.
La différence entre la hausse des loyers moyens et l’indice de prix est à imputer à l’évolution de la consommation logement par ménage qui a donc augmenté de 13,5%, améliorant d’autant les conditions de logement.

En définitive, le rapport conduit à demander des informations supplémentaires sur la situation des mal-logés pour apprécier Dans quelle mesure leur situation est due à une absence de droit, des droits non exercés, ou une politique insuffisante.

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