Immobilier à 1 € : est-ce le prix de marché ?

Il est apparu ces derniers temps dans les médias que certaines communes vendent, ou envisagent de vendre, des biens immobiliers à 1 €. Il s’agit de communes de Normandie (Champ-du-Boult dans le Calvados) et de Bretagne (Berrien dans le Finistère et Moustoir dans les Côtes d’Armor) qui ont mis en vente des terrains à bâtir à 1 €/m². Il s’agit aussi de la commune de Roubaix qui envisage de vendre à 1 € des maisons vétustes à rénover, comme l’a fait en Angleterre la ville de Liverpool en Angleterre. Les terrains situés en zones rurales avaient été proposés à la vente à des prix supérieurs et n’avaient pas trouvé preneurs alors qu’au prix de 1 € ils ont l’objet d’un nouvel intérêt. Les maisons à Roubaix étaient plutôt promises à la démolition. Ces opérations méritent quelques réflexions économiques, du point de vue des intervenants mais aussi du point de vue de l’intérêt collectif.

1 L’intérêt économique des acquéreurs

L’intérêt économique des acquéreurs paraît évident. Ils vont acheter un bien à un prix symbolique alors que le prix moyen pratiqué semble significativement plus élevé. Par exemple dans l’Ouest, l’enquête sur le prix des terrains à bâtir pour la construction de maisons individuelles en diffus indique qu’en Basse-Normandie, le prix moyen en 2013 est de 41€/m², avec un premier quartile à 23 €, dans lequel se trouvent les terrains offerts dans les environs de Champ-du-Boult. Dans l’ensemble de la Basse-Normandie, il s’est vendu 1928 terrains d’une surface moyenne de 1189 m². Le foncier représente 49231 € dans le prix de revient des maisons individuelles en diffus. Ce prix est supérieur au prix de la terre agricole libre qui s’établit à 6570€/ha dans la région, soit 0,65€/m². A Roubaix, un euro ne représente même pas le prix du terrain nu.

Si on achète le terrain 1 €/m², pour avoir le prix de revient de la maison il faut y ajouter le prix de la construction, qui s’établit en moyenne à 1185 €/m² en Normandie, avec un premier quartile à 990 €. La taille moyenne des maisons est de 123 m², mais on peut considérer qu’un ménage modeste peut réduire la surface construite. En limitant les prix de construction et la surface construite le ménage peut pour aboutir à un prix de revient de la construction de 100000 €, ce qui conduit à un coût total avec les frais de l’ordre de 110000-120000€. Ce chiffre est inférieur de 100000€ au prix moyen des maisons individuelles en diffus en France, mais pour des prestations réduites, notamment en termes de surface construite,

A Roubaix le prix moyen au m² des maisons s’élève à environ 1200 €, tel qu’il ressort des sites d’annonces immobilières. Le prix médian des maisons serait d’environ 110000€. On trouve couramment des logements habitables à moins de 100000 €.  Même en comptant une valeur des travaux équivalente au coût d’une construction neuve, la vente du bâti dégradé à 1 € reste intéressante en comparaison du prix des logements prêts à habiter. Ces niveaux de prix permettent l’accession à la propriété de ménages modestes. Compte tenu des durées et des taux des prêts immobiliers, l’annuité correspondante est supportable par des ménages de revenu annuel de moins de 20000€.

Apparemment, le prix de l’immobilier de 1 € est attractif pour la catégorie des ménages les plus contraints par le prix. La question est de savoir si cette opération est vraiment avantageuse pour le ménage dans le temps.

En ce qui concerne les terrains proposé dans l’ouest, certains étaient disponibles depuis 2007 sans avoir trouvé preneur. Depuis cette date, le contexte conjoncturel sur les marchés immobiliers est plutôt dépressif et cela bien que les conditions de crédit n’aient jamais été aussi avantageuses. Le fait qu’aucun terrain ne soit vendu depuis 2007 montre que le marché s’est asséché pour les terrains à bâtir à Champ-du-Boult. En effet, le prix de marché d’un bien immobilier ou foncier est le prix le plus élevé pour lequel un vendeur puisse trouver un acquéreur. Dans ces conditions, le prix de marché du sol dans ce type de commune n’est peut-être pas très éloigné d’un euro. Dès lors acheter un terrain à 1€ n’est sans doute pas aussi avantageux qu’il paraît.

Par ailleurs, se pose la question de la durée de l’éventuel avantage. Il s’agit ici de s’interroger sur la stabilité des prix immobiliers. Or la dynamique spatiale des marchés immobiliers ne laisse pas supposer un regain d’intérêt des demandeurs pour une telle localisation.

La situation à Roubaix est différente. Roubaix est dans la Métropole européenne de Lille, plutôt attractive. Mais l’attractivité profite surtout à Lille qui bénéficie d’un environnement urbain plus favorable. Par ailleurs la politique de construction dynamique que Lille pratique depuis plusieurs décennies renforce l’offre de logements dans ce contexte favorable. Il ne faut pas s’étonner alors que le taux de logements vacants à Lille soit inférieur à 7% quand celui de Roubaix dépasse les 10%. En fait la construction à Lille contribue à vider Roubaix, au moins quand les ménages peuvent arbitrer entre les deux villes.

2 L’intérêt économique des communes

Dans ces opérations de « casse des prix », les municipalités rurales visent d’abord à écouler un produit qui ne trouvait pas preneur au prix initial. Dans le cas de Roubaix la logique est plus complexe. Elle pourrait résulter d’un calcul économique qui comparerait le prix de cession à 1 € d’un logement en l’état avec les coûts de destruction-reconstruction pour apprécier la possibilité qu’ils puissent être couverts par le prix de vente.

Au-delà de la dimension proprement immobilière, ces ventes constituent des tentatives pour accroître l’attractivité des communes. Certaines communes rurales dans la périphérie d’une ville moyenne ont su maintenir une certaine attractivité. Par exemple Champ-du-Boult a gagné un peu de population entre 2006 et 2011, mais elle présente un taux de logements vacants de plus de 12% sans compter les 25% de résidences secondaires. Dans la même période la commune de Vire, qui est la  commune-centre, perd de sa population. Dans ce processus les communes péri-urbaines entrent en concurrence entre elles mais aussi avec la commune-centre. Dès lors offrir un prix significativement plus faible permet de gagner un avantage concurrentiel. Mais cet avantage n’est que temporaire. En effet, si le jeu de la concurrence fonctionne et dans la mesure où les freins à la baisse le permettent, les autres municipalités vont être incitées à faire baisser à leur tour leur prix, sauf à être évincées du marché. Cette évolution conduit à l’idée que le prix proposé à Champ-du-Boult est plus proche du vrai prix d’équilibre du marché foncier que les autres prix pratiqués .

Le même type de considération joue à Roubaix. C’est une ville dont une partie de la population a des revenus modestes ou très modestes. Elle présente une attractivité moindre que Lille et que sa voisine Tourcoing, si on en juge par le taux de vacance des logements, plus de 11% à Roubaix contre moins de 7% à Tourcoing. Ces villes sont dans une certaine mesure dans une situation de communes périurbaines par rapport à Lille. La ville de Lille continue  à développer une offre de logements neufs contribuant à absorber une partie de la demande des communes environnantes.

Pour les communes, vendre à 1€ est sans doute la seule option pour garder une certaine attractivité auprès des ménages et cette pratique contribue à attirer les plus modestes.

3 L’intérêt collectif

La vraie question est finalement de savoir si l’intérêt général trouve son compte dans ce type d’opérations. La concurrence entre collectivités locales conduit à mobiliser des ressources publiques pour accroître une offre que les producteurs privés peuvent parfaitement satisfaire. Ils ne lanceraient pas d’opérations immobilières sans perspectives raisonnables de commercialisation. Le prix auquel ils commercialiseraient les produits immobiliers, terrains à bâtir ou logements construits, seraient les prix de marché. Au lieu de quoi on assiste à la production ou au subventionnement d’opérations qui trouvent difficilement preneurs et dont les coûts excèdent le prix auxquelles elles peuvent être commercialisées.

Finalement, la question que pose ce genre d’opérations est celle du niveau géographique pertinent pour l’intervention des collectivités territoriales en matière de logement. L’analyse économique suggère que les interventions publiques soient opérées sur le périmètre des marchés locaux du logement. S’agissant de Champ-du-Boult il est peu vraisemblable que la commune, qui ne compte que 280 logements, constitue à elle seule un marché local du logement. Le périmètre dans lequel les ménages vont opérer leur choix de logements et beaucoup plus vraisemblablement, au minimum, de la taille du nouveau canton de Vire.

De même Roubaix ne constitue pas un marché du logement indépendant. Il s’insère dans le marché plus vaste de l’agglomération de Lille. Que les communes de l’agglomération comme Roubaix ait encore un pouvoir d’intervention en matière de logement pose problème. Comment garantir la cohérence de cette intervention avec les orientations du Plan Local de l’Habitat ? Il paraît plus efficace que les choix du PLH soient mis en œuvre par un opérateur unique. On peut constater qu’on en est encore loin.

 

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Une réponse à Immobilier à 1 € : est-ce le prix de marché ?

  1. Stephanie dit :

    Je trouve que cette idée des terrains à 1€, cela reste une bonne chose. Quant on voit la désertification de certaines communes, je pense que vendre ces terrains à un prix très bas peut permettre d’attirer de nouveaux habitants. Je pense notamment aux primo-accédants qui ont beaucoup de mal à se loger dans les grandes villes, et ce malgré les dispositifs de défiscalisation comme la loi pinel qui font pourtant du bien au niveau du nombre des mises en chantier (qui augmentent). Affaire à suivre 🙂

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