Déréglementer la profession notariale : quels fondements économiques ?

Il est question de déréglementer un certain nombre de professions à statut particulier dont celle de notaire. Quels arguments économiques peuvent être avancés ?

Rappelons d’abord que l’immobilier est un secteur d’activité très réglementé. La réglementation concerne d’abord les opérations que réalisent les professionnels. Elle concerne aussi l’exercice de leur activité par les professionnels eux-mêmes. Cette réglementation se justifie particulièrement dans le secteur du logement par la volonté des pouvoirs publics de protéger les particuliers dans un domaine où les sommes en jeu sont importantes par rapport au revenu des ménages et où l’information est asymétrique : les professionnels ont, par le caractère répété de leurs interventions, une connaissance que les particuliers n’ont pas en général parce qu’ils interviennent de manière ponctuelle.

La réglementation vise donc d’abord à assurer aux particuliers une information minimale dans les engagements qu’ils sont amenés à prendre. La réglementation vise aussi à protéger les professionnels entre eux, certains pouvant notamment réaliser des opérations pour d’autres sans les payer.

1 Pourquoi réglementer, comment réglementer ?

Comme toute intervention publique sur un marché, la réglementation de la profession de notaire peut avoir pour effet, sinon pour finalité, de réguler :

  1. les volumes, au niveau individuel, en l’occurrence la qualité de la prestation, et au niveau global, le nombre de prestations,
  2. le prix de la prestation,
  3. le nombre de professionnels prestataires.

De fait, la réglementation de la profession notariale concerne les trois aspects.

Quant à la réglementation d’une profession, elle peut porter :

  1. sur les compétences requises pour exercer la profession,
  2. sur l’accès à la profession qui peut être limité par un numerus clausus,
  3. sur les tarifs pratiqués,
  4. sur l’obligation de passer par un professionnel pour certaines opérations.

Ces différentes réglementations peuvent être imposées indépendamment l’une de l’autre ou concurremment. Cela définit donc des configurations différentes selon les professions. La profession notariale est réglementée sous tous ces aspects. Elle se caractérise par une intervention obligatoire pour certains actes, une rémunération fixée par décret et un accès limité par le droit de présentation du successeur.

Examinons maintenant les aspects de la profession notariale dont le fondement économique peut être contesté.

2 Un accroissement  très important de leur rémunération ces dernières années

Dans les transactions de biens immobiliers les émoluments des notaires sont proportionnels à la valeur de la transaction avec un taux dégressif par tranche de valeur du bien.

Depuis la fin des années 1990, les prix de l’immobilier ont connu un doublement. Le même logement vendu 100000€ alors se vend maintenant 200000€. Sur la base des tarifs fixés par le décret du 17 février 2011, les émoluments proportionnels sont passés de 1236 € à 2061€. Ils ont donc connu une augmentation de 67%. Les coûts, notamment les salaires des personnels, n’ont pas connu une telle évolution. Cette remarque qui concerne l’évolution dans le temps vaut aussi pour les différences de prix des logements à un moment donné.

Le seul élément de coût qui a augmenté dans la même proportion que le prix des biens est le coût du risque. Ce coût est lié à la valeur des biens et correspond par exemple à la prime d’assurance couvrant la responsabilité civile du notaire. L’augmentation de la valeur des transactions peut justifier l’augmentation de la part de la rémunération qui couvre le risque mais elle ne justifie pas l’augmentation de la totalité de la rémunération.

Enfin l’accroissement des revenus de certains professionnels pour un même travail peut paraître inéquitable. Les pouvoirs publics peuvent intervenir pour qu’une prestation soit assurée de manière sécurisée à des conditions de prix raisonnables. Ils ne sont pas censés assurer une protection qui assure à certains une rémunération parmi les plus élevés des rémunérations existantes.

2 Une restriction excessive de l’accès à la profession

La limitation de l’accès à la profession confère un monopole à l’exercice de la profession notariale. L’analyse économique montre les méfaits du monopole dans la production des biens et services : il conduit à un niveau de production inférieur à celui du marché concurrentiel et à un niveau de prix supérieur. Ceci explique cela : un prix plus élevé conduit à une demande plus faible. Le monopole nuit aussi à l’évolution du métier.

Dans le cas des notaires l’effet du monopole sur une éventuelle restriction sur les quantités est sans doute insignifiant puisque le poids du coût de la prestation notariale dans le coût d’une opération d’acquisition est minime. Il ne représente qu’un peu plus de 1% de la valeur des biens. L’effet prix est donc également très faible.

L’effet le plus marqué est d’empêcher le partage du marché en un plus grand nombre de prestataires. On peut comparer la situation des notaires avec celle des agents immobiliers dont la rémunération, fixée librement, est également un pourcentage de la valeur des biens. Cette indexation a conduit à un accroissement de la rémunération unitaire des agents immobiliers du fait du doublement des prix de l’immobilier. Mais l’accès à la profession, qui n’est pas restreint quantitativement, a conduit à une augmentation du nombre de professionnels. Leur nombre a doublé avec le doublement des prix de l’immobilier passant de 15000 à la fin des années 90 pour atteindre près de 30000 au pic des prix immobiliers. Il a commencé à décroître avec la décrue des prix. Les agents immobiliers ont donc été plus nombreux à se répartir la masse de rémunération plus importante. Tel n’est pas le cas des notaires. Cet avantage dont bénéficient les notaires n’a aucun fondement économique. Une profession qui bénéficiait d’un statut comparable à celui des notaires, celle des commissaires-priseurs pour les ventes volontaires a dû être ouverte en 2000, notamment aux maisons de vente britanniques.

Le seul frein à la multiplication du nombre de professionnels est l’existence d’économies d’échelle dans la production de la prestation. Dans ce cas en effet un phénomène de concentration est économiquement justifié, comme cela se produit souvent pour la production de biens manufacturés. Pour les notaires, la seule forme potentielle d’économies d’échelle repose sur le phénomène d’apprentissage, qui est se manifeste dans toutes les professions.

Un autre effet négatif de l’accès limité à la profession concerne l’évolution de la répartition spatiale des notaires. Historiquement, l’activité des marchés immobiliers s’est déplacée des zones rurales vers les zones urbaines. Le déclin de l’activité dans les zones rurales devrait y conduire à la fusion ou à la disparition d’études notariales. Inversement, dans un régime concurrentiel, le développement de l’activité dans les zones urbaines conduirait à un accroissement du nombre d’études. Actuellement, les créations décidées par les pouvoirs publics ne satisfont pas la demande potentielle d’installation de nouveaux notaires.

3 La question de la qualité de la prestation notariale 

Le principal argument avancé pour justifier le numerus clausus de la profession notariale est la garantie de la qualité de la prestation. Il est quelque fois avancé qu’une ouverture large, par exemple à d’autres professionnels du droit, conduirait à une dégradation de la qualité de la prestation et à un accroissement du nombre de contentieux. Actuellement, selon le site des Notaires de France, « sur 4,5 millions d’actes établis en 2006, un peu moins de 4 200 ont donné lieu à contentieux, soit un taux inférieur à 1 pour 1000 », ce qui est peu. On peut aussi rapporter ce nombre à celui des offices, 4500, et à celui des notaires, 9600, ce qui fait presqu’un contentieux en moyenne par office et un pour deux notaires. Ces nombres sont significativement plus élevés. Par ailleurs un contentieux peut concerner beaucoup de victimes, quelques 700 personnes par exemple dans l’affaire Apollonia.

Par ailleurs, si un contentieux n’implique pas nécessairement condamnation du notaire, il traduit une insatisfaction de la part du client. Inversement, l’insatisfaction d’un client ne se traduit pas toujours par un contentieux, ainsi que l’attestent les forums sur la question.

La première exigence de qualité de la prestation notariale est la régularité de l’acte. Si le rôle du notaire est primordial, le service de publicité foncière de l’administration fiscale y contribue en refusant ou rejettant les actes présentant une irrégularité.

L’autre exigence de qualité concerne l’obligation de conseil. Son contenu est par nature plus flou, donc plus susceptible de contestation. Son exigence est néanmoins primordiale. Elle doit éviter aux clients de réaliser des opérations économiquement manifestement insatisfaisantes. C’est le cas en particulier quand un acquéreur surpaye le bien acheté, ou l’achète à des fins locatives dans un marché locatif déjà saturé. Cette situation est à l’origine de recours pour des acquisitions immobilières bénéficiant d’une défiscalisation. Erwan Seznec dans son ouvrage sur la ruine de ménages ayant investi dans des opérations défiscalisées estime que » 30% des acheteurs ont surpayé leur bien »[1]. C’est bien entre autres raisons pour une défaillance de conseil qu’ont été condamnés les notaires dans l’affaire Apollonia. L’assignation de l’un d’eux indique : « Me X. ne s’est manifestement jamais intéressé au prix de vente des biens acquis par les clients et ne pouvait leur apporter sur ce point aucun conseil, qui aurait pourtant été nécessaire, le prix proposé étant largement supérieur au prix du marché ».

Les notaires disposent pourtant de l’information sur le prix des biens puisque ce sont eux qui alimentent les bases de données sur les prix des logements, la base BIEN dans l’agglomération parisienne et la base PERVAL dans le reste de la France.

En définitive, la restriction de concurrence apportée par le numerus clausus n’est donc pas la garantie d’une prestation sans reproche.

Conclusion

Une évolution du statut des notaires est donc fondée d’un point de vue économique. Elle devrait conduire à élargir l’accès à la profession. Pour autant, il n’est sans doute pas souhaitable que la rédaction d’actes authentiques soit réalisée par des personnes n’assurant pas cette fonction de manière régulière. Il est préférable qu’il s’agisse de professionnels. Ce résultat peut être obtenu par d’autres procédés que le numerus clausus, comme il l’est dans une autre profession de l’immobilier comme les agents immobiliers. L’exigence d’une carte qui pourrait être assortie d’un dépôt de garantie d’un montant significatif permettrait à la fois de s’assurer des compétences des notaires et de limiter l’accès à la profession à ceux qui amortiront leur dépôt de garantie sur un nombre suffisamment important d’actes.

Leur rémunération pourrait devenir forfaitaire avec une révision annuellement. Toutefois, il ne faudrait pas que cette rémunération forfaitaire soit fixée en référence à leur rémunération actuelle. Dans un contexte de diminution des prix, elle aboutirait à l’effet paradoxal de maintenir la rémunération des notaires à son haut niveau actuel.

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[1] Ruinés, le plus grand scandale immobilier de l’après-guerre, éditions du Seuil, 2013.

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3 réponses à Déréglementer la profession notariale : quels fondements économiques ?

  1. Eric Blaise dit :

    Je comprends pourquoi des gens veulent déréglementer la profession notariale, mais avez-vous considéré les conséquences d’une telle action?, les notaires sont bien importants et sont là pour vérifier que les lois et les contrats sont bien respectés. imaginé quels problèmes légaux qu’on puisse avoir sans l’aide du notaire….

    Eric | http://www.nadeaunotaires.ca

    • La fonction des notaires est tout à fait importante et il n’est pas question de s’en passer. La question est celle de l’évolution de leur rémunération qui est sans fondement économique. Il est aussi question de l’accès à la profession qui doit être contrôlé mais pourrait être élargi. Les deux questions sont d’ailleurs liées. Les rémunérations importantes résultent pour partie de l’accès très limité à la profession. La comparaison avec le Canada pourrait être intéressante.

  2. Jean Roux dit :

    Salut. un point de vue vraiment unique! Du bon boulot. Découvrez la vidéo à 360° de biens immobiliers

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