Loyers imputés : évaluation, fiscalité, croissance

Les loyers imputés sont les loyers que les propriétaires occupants paieraient s’ils étaient locataires de leur logement[1]. Ces loyers sont évalués et entrent dans le chiffrage du produit intérieur brut, le PIB, dont le montant représente la richesse produite par un pays. On montre que l’estimation faite actuellement surévalue leur montant. Deuxièmement, comme ils constituent une valeur effective, ils peuvent faire l’objet d’une taxation en tant que revenu. On suggère d’en créer une pour remplacer la taxe foncière. Enfin comme les loyers imputés représentent la valeur produite par l’occupation des logements existants, on propose de manière un peu provocatrice d’accueillir un million de réfugiés, voire plus, dans les près de 3 millions de logements vacant, pour générer du PIB à peu de frais.

1 Les loyers imputés sont surestimés

Les loyers imputés ne sont pas directement observables. Ils sont donc estimés. C’est le SOeS, le Service d’Observation et de Statistiques du Ministère en charge du logement, qui effectue ce travail. Les résultats sont communiqués à l’INSEE qui incorpore ces résultats dans le PIB. Leur estimation vient de faire l’objet d’une réévaluation sur la base des résultats de l’Enquête Nationale Logement de 2013 qui a fait l’objet d’un groupe de travail de la Commission des Comptes du Logement et d’un Document de travail [2]. Les loyers imputés sont évalués à 171 milliards € en 2013. Avec un PIB de 2114 mds €, les loyers imputés représentent 8% du PIB, ce qui est loin d’être négligeable. Sur une masse totale de loyers de 241 mds, les loyers imputés représentent 70% de la masse totale. Ce chiffre est un peu supérieur à la part des propriétaires occupants dans l’ensemble du parc de logements ce qui indique que les propriétaires occupants occupent des logements de valeur légèrement supérieure à celle des locataires.

L’estimation des loyers imputés est effectuée par comparaison avec les loyers des logements locatifs. Plus précisément le SOeS calcule un modèle dit hédonique qui chiffre la contribution des différentes caractéristiques des logements locatifs à leur loyer. Sur la base de la contribution de ces caractéristiques et de leur valeur dans les logements occupés par leur propriétaire on peut déterminer le loyer que ces derniers paieraient.

Cette méthode fait l’objet d’une validation par Eurostat. En effet, vu leur contribution au PIB, l’estimation des loyers imputés est une question sensible au niveau européen, dans la mesure où le PIB détermine le montant des contributions des états au budget européen. Il ne faudrait donc pas que ces loyers soient sous-estimés. En réalité la méthode surestime les loyers imputés.

En effet, le loyer effectif d’un logement locatif n’est pas seulement représentatif des caractéristiques du logement mais aussi de la relation de marché entre le bailleur et le locataire. Cette relation comporte des risques pour le bailleur. Il s’agit notamment des risques concernant le délai entre deux locations, des risques de dégradation du logement, de l’incertitude sur la durée d’occupation. Ces risques sont couverts par le loyer, indépendamment des caractéristiques physiques des logements. D’ailleurs quand un bailleur a un « bon » locataire, il a tendance à pratiquer un loyer moindre au fil du temps. Les modèles économétriques montrent en effet que l’ancienneté de présence d’un locataire contribue à un moindre loyer.

Dans le cas des propriétaires occupants, tous les risques évoqués n’existent plus. Le propriétaire est son propre locataire. Il est le meilleur garant du soin apporté à l’entretien du logement. Il sait quand il va occuper et quitter le logement.

L’absence de ces risques doit se manifester dans le loyer imputé par une décote sur le loyer qui serait pratiqué à l’égard d’un locataire tiers. Cette décote demanderait à être chiffrée précisément. Elle ne devrait vraisemblablement pas être inférieure à 10% du montant du loyer.

Un autre facteur contribue à surestimer le montant des loyers imputés. Il s’agit des charges supportées par les propriétaires de logement qui sont considérés comme les producteurs du service logement, qu’ils soient occupants ou bailleurs. Cette production consiste à mobiliser un logement mais aussi d’autres moyens pour mettre à disposition un logement à l’occupant. Ces charges constituent des coûts de fonctionnement des propriétaires occupants et des propriétaires bailleurs. Elles sont aussi normalement couvertes par les loyers. Quand les propriétaires supportent de moindres charges, ils sont amenés à pratiquer des loyers moins élevés.  En 2015, selon le Compte du logement, les charges supportées par les propriétaires occupants (hors charges liées aux emprunts) représentaient un peu plus de 10% des loyers imputés, alors qu’elles représentent plus de 26% des loyers effectifs chez les bailleurs sociaux et privés. Ces écarts sont considérables.

A ces charges on peut ajouter les « transferts à l’occupant », c’est-à-dire les loyers qui ne sont pas réclamés. Ces transferts à l’occupant sont nuls par définition chez les propriétaires occupants. Ils représentent plus de 7% des loyers chez les bailleurs.

En définitive les propriétaires bailleurs supportent des charges de fonctionnement supérieures à celle des propriétaires bailleurs pour un montant compris entre 16 et 23% de la masse des loyers. Cette différence doit se retrouver dans l’estimation des loyers imputés. S’il l’on ajoute à ces chiffres la différence résultant des risques, il faut diminuer les loyers imputés d’un montant compris entre le ¼ et le 1/3 du montant des loyers.

2 Remplacer la taxe foncière par la fiscalisation des loyers imputés

Les loyers imputés constituent une richesse produite réelle et la comptabilité nationale les inclut dans le revenu disponible des ménages. Ils devraient donc faire l’objet d’une fiscalité sur les revenus. En général l’évocation d’une fiscalisation des loyers imputés soulève les plus vives protestations au motif notamment qu’il ne s’agit pas d’un revenu monétaire. L’argument n’est pas suffisant puisque certaines productions en nature peuvent être fiscalisées, par exemple avec la TVA pour livraison à soi-même. Par ailleurs la fiscalisation des loyers imputés a été pratiquée en France jusqu’en 1964 et l’est dans certains pays peu suspects de traitement sévère des ménages aisés, comme l’Allemagne ou la Suisse, ce qui contribue à y expliquer le plus faible taux de propriétaires occupants.

L’incorporation des loyers imputés respecterait le principe de justice fiscale. Elle conduirait à traiter fiscalement de la même manière les logements occupés par leur propriétaire et ceux données en location. Actuellement ce n’est pas le cas. Les logements locatifs sont considérés comme des biens d’investissement tandis que les logements occupés par leur propriétaire sont traités comme des biens de consommation. Or économiquement ces biens sont rigoureusement de même nature quel que soit le statut du propriétaire, occupant ou bailleur.

Le traitement fiscal des biens d’investissement et des biens de consommation est différent. Dans le cas des biens d’investissement, les revenus sont imposables et les charges déductibles, notamment les intérêts des emprunts. Dans le cas des biens de consommation la valeur consistant dans l’usage du bien n’est pas imposable mais les charges ne sont pas déductibles. C’est la raison pour laquelle, dans l’estimation des aides publiques par le Compte du Logement, la non-imposition des loyers imputés n’est pas considérée comme un avantage, mais la déduction des intérêts des emprunts contractés pour l’acquisition d’une résidence principale le sont. Ce traitement fiscal différent des biens occupés par leur propriétaire et des biens loués n’est ni cohérent avec la nature économique du service du logement, ni juste fiscalement.

L’incorporation des loyers imputés dans la base fiscale de l’impôt sur le revenu permettrait le respect de la progressivité de l’impôt. Cette incorporation devrait s’accompagner d’une suppression de la taxe foncière qui est un impôt sur le patrimoine. C’est un impôt exorbitant parce que seul le patrimoine immobilier y est soumis, parce qu’il est dû dès le premier euro de patrimoine immobilier, et qu’il est non progressif. Il est dû même si le bien immobilier n’a pas d’occupant.

On peut évidemment arguer que la taxe foncière fonctionne comme impôt sur les loyers imputés. Ce n’est que partiellement vrai. Elle est due en effet par les propriétaires bailleurs qui de ce fait supporte une double imposition, voire une triple imposition avec l’ISF. Elle est due par tous les propriétaires quel que soit leur revenu, même s’il existe des dispositions pour les ménages modestes. Son taux n’est pas progressif ce qui contrevient à un principe de justice fiscale assez généralement admis. Enfin son montant est différent selon la collectivité territoriale dans laquelle le bien est situé ce qui aboutit à des valeurs différentes pour des loyers imputés identiques.

L’argument selon laquelle la taxe foncière est une ressource des collectivités territoriales ne tient pas, puisqu’il est aisé de leur reverser une partie du produit de la fiscalité sur le revenu, éventuellement après péréquation.

3 Accueillir un million de réfugiés pour augmenter le PIB

La France compte 2,934 millions de logements vacants, ce qui représente 8,3% du parc. Ce chiffre important de vacance pose problème. En effet ces logements étant inoccupés ne génèrent ni loyers effectifs ni loyers imputés. Or la seule occupation de ces logements pourraient générer de la richesse, du PIB. Le loyer moyen des logements locatifs loués est d’environ 7000 € par an, selon l’ENL 2013. En première approximation on peut considérer que le loyer imputé des logements vacants serait du même ordre. Autrement dit, la vacance des près de 3 millions de logements représente un déficit de PIB de plus de 20 milliards € par an.

On pourrait réduire ce déficit en accueillant massivement des réfugiés. Bien entendu comme la plupart ne seraient pas en état de payer le loyer correspondant, on les en dispenserait. Ce qui ne retirerait rien aux propriétaires puisqu’en tout état de cause ces logements ne leur rapportent rien. Le manque à gagner serait inscrit en « transferts à l’occupant » dans le compte des producteurs de service du logement. A ce stade on ne prend pas en considération les autres dépenses que nécessiterait la présence de réfugiés sans beaucoup de ressources ni les difficultés que soulèverait leur éventuelle intégration.

Au-delà de cette proposition un peu provocatrice, on veut souligner la perte de richesse qui résulte de l’inoccupation de logements. On souligne aussi que la construction de logements supplémentaires qui constitue un apport au PIB, contribue aussi à le réduire puisqu’une partie de ces logements conduisent à vider des logements existants.

[1] Le terme « imputé » est la traduction du terme utilisé en anglais « imputed ». On trouve aussi les termes loyers fictifs ou implicites. Ce dernier terme est le plus satisfaisant, mais le terme imputé tend à l’emporter.

[2] Document de travail n°31 : Actualisation des loyers, SOeS, mars 2017 disponible sur le site du SOeS.

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