Baisse des APL : qui est le plus impacté ?

Le gouvernement a décidé de réduire de 5 € par mois le montant des allocations de logement. Ce montant paraît modeste mais comme il porte sur plus de 6 millions de bénéficiaires le total économisé est significatif.

La réduction des allocations de logement frappe les ménages les plus modestes. Si l’on s’en tient aux seuls locataires, certains accédants pouvant bénéficier aussi d’une allocation de logement, l’Enquête logement 2013 indique que c’est 76% des locataires du premier quartile de revenu qui en bénéficient. Ils représentent eux-mêmes 70% des bénéficiaires (hors étudiants). De toutes les aides au logement les aides à la personne sont de loin les plus sociales. Elles le sont notamment beaucoup plus que le secteur locatif social qui héberge aussi des locataires figurant dans les tranches de revenu les plus élevés.

On précise quels sont les ménages les plus impactés par la baisse et on discute l’impact de l’APL sur les loyers.

Comme complément on peut écouter l’émission sur ce sujet sur France Culture :  https://www.franceculture.fr/emissions/le-magazine-du-week-end/de-la-baisse-des-apl-au-choc-doffre-quelles-politiques-pour-le

Les plus impactés ne sont pas ceux dont on parle le plus

Globalement la baisse des aides va à l’encontre de la dimension sociale de la politique du logement. On a vu se lever une protestation contre cette mesure.

Elle a d’abord émané des étudiants. Ce ne sont pourtant pas les bénéficiaires des APL les plus modestes. On sait que les étudiants se recrutent dans les couches moyennes et aisées de la société. Certes un certain nombre sont issus de milieux modestes mais ils ne sont pas la majorité. La plus grande partie d’entre eux sont à la charge de leurs parents et considérés fiscalement comme tels. Le traitement des étudiants du point de vue des transferts et des prélèvements publics devrait faire l’objet d’un réexamen pour mieux prendre en compte la situation de l’étudiant et celle des parents.

On a évoqué aussi l’impact de la baisse des APL sur le nombre des bénéficiaires par l’intermédiaire du montant minimal d’aide conduisant à son versement. L’aide n’est actuellement versée que lorsque son montant mensuel excède 15 €. La baisse de l’ensemble des aides de 5 € fait passer un certain nombre de ménages en dessous du seuil de 15 €. Ils ne percevraient plus d’aide.

Mais il faut examiner qui sont les ménages susceptibles d’être dans cette situation. Rappelons que selon le barème, l’APL est la différence entre le loyer payé dans la limite d’un plafond et un reste à charge. Le plafond ne dépend pas du revenu tandis que le reste à charge est croissant avec le revenu. De telle sorte qu’à partir d’un certain revenu le reste à charge atteint le plafond ce qui annule l’aide.  Ceci définit un revenu d’exclusion. Cela fait aussi que l’aide est décroissante avec le revenu. Les ménages qui sont susceptibles de perdre le bénéfice de l’aide du fait du seuil de 15 € sont donc les ménages les plus près du revenu d’exclusion. Ce ne sont donc pas les plus modestes. Par ailleurs en abaissant le seuil de versement de l’aide à 10 € comme l’envisage le gouvernement ils continueront à bénéficier de l’allocation.

Les ménages les plus impactés par la baisse des APL sont les ménages les plus modestes. Pour eux, l’APL est le moyen  de se loger décemment à un coût supportable, ce qui peut être considéré comme l’objectif minimal de la politique du logement. L’existence des APL permet à la France de se situer parmi les pays d’Europe offrant la meilleure accessibilité au logement.

Si on compare par exemple les pays européens selon le taux de ménages en surcharge de dépenses de logement, c’est-à-dire le pourcentage de ménages consacrant plus de 40% de leur revenu pour se loger, on constate qu’avec 5,7% des ménages en 2015, la France fait mieux que l’Allemagne qui en compte 15,6%, que le Royaume-Uni avec 12,5%, que le Danemark à 15,1% et que les Pays-Bas à 14,9%. Seules l’Irlande et la Finlande font mieux. Mais la Suède avec 7,5% fait moins bien que la France.

Toutefois ce faible taux en France laisse encore près de 15% des locataires du secteur privé et près de 10% des locataires du secteur social en situation de surcharge de dépenses de logements. Ces taux sont inférieurs à ceux des autres pays européens, mais montrent la nécessité de maintenir voire de renforcer les aides aux plus modestes si l’on veut conserver l’accessibilité à un logement convenable pour tous.

Il faudrait d’ailleurs mener des investigations complémentaires sur ces ménages en surcharge de dépenses de logement pour savoir s’ils bénéficient d’une allocation de logement et si oui pourquoi elles ne les solvabilisent pas suffisamment : revenu inexistant ? Dépenses de logement excessives ? ou autres raisons ?

L’effet inflationniste des aides au logement sur les loyers est limité

Pour justifier la réduction des aides à la personne on évoque souvent le fait qu’elle est récupérée par les bailleurs et qu’elle a ainsi un effet inflationniste sur les loyers.

Remarquons d’abord que ce phénomène est général en cas de subventionnement de la demande. Quand on subventionne la demande, il y a un effet inflationniste sur le prix sauf dans le cas où l’offre est parfaitement élastique, c’est-à-dire quand les quantités offertes sont insensibles au prix. Les autres aides au logement ont donc le même effet sur les prix. C’est le cas par exemple de l’aide à l’investissement locatif sous forme de défiscalisation dont l’effet inflationniste n’est pas évoqué.

Il est bien documenté que les APL ont entraîné une augmentation des loyers[1]. Mais ce phénomène s’est manifesté au moment de la généralisation des APL à tous les locataires, ce qu’on a appelé le bouclage dans les années 80 et 90. Depuis leur mise en place l’évolution des loyers ne doit rien à celle des allocations. Plusieurs raisons à cela.

La première est qu’une très large partie des allocataires atteignent le plafond de l’aide parce que leur dépense de loyer atteint ou dépasse le plafond de dépenses retenu pour le calcul. Dès lors l’évolution de l’aide dépend de la revalorisation du loyer plafond et ne dépend plus de celle du loyer effectivement payé.

La deuxième raison est que la revalorisation des loyers est encadrée. Elle ne peut excéder l’évolution de l’IRL, l’indice de référence des loyers, lui-même largement indexé sur l’inflation.

Comme le barème de l’APL est assez largement indexé sur l’inflation on observe que l’APL et les loyers évoluent parallèlement. Mais ce n’est que la résultante de cette double indexation.

Dans les faits, les loyers réels, c’est-à-dire inflation déduite, ont peu augmenté depuis 20 ans, moins de 10% sur la période. Comme le revenu des ménages a augmenté de manière significative, le pouvoir d’achat locatif des ménages s’est également accru. Comme le taux d’effort des locataires est resté globalement stable sur la période, c’est que les ménages ont accru leur consommation de logement à proportion de l’accroissement de leur pouvoir d’achat locatif.

 

[1] On a montré comment le bailleur pouvait récupérer en partie l’aide sans savoir si le locataire en bénéficiait personnellement :  http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=ECOP_169_0211

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4 réponses à Baisse des APL : qui est le plus impacté ?

  1. HP dit :

    Bonjour monsieur,

    si l’effet inflationniste a été documenté, qu’en est-il d’un éventuel effet « déflationniste » d’une baisse des aides ? Y a-t-il des « expériences naturelles » documentées sur le sujet ?

    je vous remercie

    HP.

    • Je ne connais pas d’étude sur la question et pas davantage d’expérience en ce sens. En fait le prix des loyers est très stable depuis 20 ans. Ceci résulte de l’abondance de logements qui commence d’ailleurs à faire baisser les loyers si l’on en croit les données les plus récentes.

  2. MP dit :

    Sur l’effet désinflationniste des aides, il y a bien une étude sur l’impact à court terme de la réforme anglaise. Après un an, 11 % de la baisse des aides avait été supportée par les bailleurs (et donc 89 % par les locataires).

    Voir : Department for Work & Pensions, « The impact of recent reforms to local housing allowances: summary of key findings », juillet 2014, p. 16

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